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Covid-19 et contrats de la commande publique16 April 2020

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L’épidémie de coronavirus (COVID-19) est un challenge pour l’ensemble des économies des pays affectés, dont la France. Pour faire face à l’impact de cette épidémie sur la passation et l’exécution des contrats publics, le Gouvernement a publié une ordonnance instaurant des mesures exceptionnelles et temporaires. De telles mesures ne devraient cependant pas éclipser le droit commun des contrats publics, qui est également susceptible d’offrir des réponses en ces temps exceptionnels.

Sur le fondement de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de COVID-19 (article 11, 1°, f), le Gouvernement a publié le 26 mars 2020 l’ordonnance n° 2020-319 du 25 mars 2020 portant diverses mesures d’adaptation des règles de passation, de procédure ou d’exécution des contrats soumis au code de la commande publique et des contrats publics qui n’en relèvent pas pendant la crise sanitaire née de l’épidémie de COVID-19 (l’« Ordonnance »). Elle prévoit des mesures à destination des acheteurs, candidats et titulaires de contrats publics pour faire face aux difficultés issues tant de l’épidémie de COVID-19 que des mesures restrictives prises par les pouvoirs publics pour l’endiguer. Sa lecture en est utilement complétée par celle de la fiche que la direction de affaires juridiques du Ministère de l’économie (« DAJ ») a publié le 8 avril dernier (« les conséquences de la crise sanitaire sur la commande publique »), sous la forme d’une foire aux questions pour répondre de manière pédagogique et concrète aux questions qui peuvent se poser pendant cette période de crise sanitaire.

L’apport de l’Ordonnance ne peut toutefois être mesuré qu’à la lumière des dispositifs usuels que le droit commun des contrats publics offre pour faire face à des situations exceptionnelles et que les parties à un contrat public pourraient mobiliser dans le cadre de la crise sanitaire actuelle.

Les dispositifs exceptionnels prévus par l’Ordonnance

Champ d’application de l’Ordonnance (article 1ᵉʳ):

L’Ordonnance est applicable:

  • aux contrats publics soumis au Code de la commande publique (« CCP ») ou non (conventions d’occupation domaniale notamment) ;
  • aux contrats publics en cours d’exécution ou conclus à compter du 12 mars 2020 jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire (24 mai 2020 sous réserve de prorogation), augmentée d’une durée deux mois (24 août 2020);
  • aux contrats de la commande publique conclus par l’Etat et ses établissements publics dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les Terres australes et antarctiques françaises ainsi qu’aux contrats de concession conclus par les autres organismes et personnes de droit public et de droit privé chargés par l’Etat d’une mission de service public administratif dans les îles Wallis et Futuna et dans les Terres australes et antarctiques françaises (article 7).

Les principaux dispositifs résultant de l’Ordonnance:

  • s’agissant des contrats soumis au CCP, les délais de réception des candidatures et des offres des procédures d’appel d’offres en cours sont prolongés d’une durée suffisante fixée par l’acheteur, sauf lorsque le début des prestations à venir ne peut pas être décalé (article 2);
  • lorsque l’acheteur n’est pas en mesure de respecter les modalités de la mise en concurrence prévues dans le dossier de consultation des entreprises, il peut les aménager, sous réserve de ne pas porter atteinte à l’égalité de traitement des candidats (article 3), et bien entendu sans remettre en cause les conditions initiales de la mise en concurrence;
  • la durée des contrats peut être prolongée par avenant si le contrat arrive à terme entre le 12 mars 2020 et la fin de l’état d’urgence sanitaire (augmentée de deux mois) et si aucune procédure de mise en concurrence ne peut être organisée. Dans ce cas, il sera possible de prolonger les durées des accords-cadres et des concessions au-delà des durées maximales prévues par le CCP (article 4);
  • les conditions de versement des avances peuvent être modifiées par avenant et leur taux porté au-delà de 60% du montant du marché ou du bon de commande. Les acheteurs sont dispensés de l’obligation d’exiger de leurs cocontractants la constitution d’une garantie à première demande pour les avances supérieures à 30% du montant du marché (article 5);
  • en cas de difficulté d’exécution du contrat et sous réserve de stipulations contractuelles déjà plus favorables au titulaire:
    • le délai d’exécution des obligations contractuelles est prolongé au moins jusqu’à la fin de l’état d’urgence sanitaire augmentée de deux mois lorsque le titulaire ne peut pas respecter ce délai ou lorsque le respect du délai d’exécution tel que prévu par le contrat initial nécessiterait des moyens dont la mobilisation ferait peser sur le titulaire une charge manifestement excessive. Cette prolongation doit être demandée par le titulaire à l’acheteur avant l’expiration du délai contractuel (article 6.1);
    • en cas d’impossibilité d’exécuter tout ou partie d’un contrat ou d’un bon de commande – moyens insuffisants ou mobilisation de ces moyens qui ferait peser sur le titulaire une charge manifestement excessive – le titulaire ne peut pas être sanctionné, ni se voir appliquer des pénalités contractuelles ou encore voir sa responsabilité contractuelle engagée. L’acheteur, lui, peut conclure un marché de substitution avec un tiers pour satisfaire ses besoins urgents en dépit de toute clause d’exclusivité et l’exécution de ce marché ne peut s’effectuer aux frais et risques du titulaire. La responsabilité contractuelle de l’acheteur ne pourra pas être engagée par le titulaire en cas de passation d’un tel marché de substitution (article 6.2) ;
    • le titulaire peut obtenir une indemnisation des dépenses qui sont directement imputables à un bon de commande annulé ou à un marché résilié lorsque cette annulation ou cette résiliation résulte des mesures prises par les pouvoirs publics dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire (article 6.3) ;
    • en cas de suspension de l’exécution d’un marché à prix forfaitaire, l’acheteur doit procéder sans délai au règlement du marché en respectant les modalités et les montants prévus par le contrat. A l’issue de la suspension, les éventuelles modifications du contrat, ou bien sa reprise à l’identique, ou encore sa résiliation ainsi que les sommes dues par l’une partie à l’autre partie seront déterminées par avenant (article 6.4) ;
    • en cas de suspension de l’exécution d’une concession, le versement de toute somme au concédant par le concessionnaire est suspendu. En revanche, une avance sur les sommes dues par le concédant au concessionnaire peut lui être versée si sa situation le justifie et seulement à hauteur de ses besoins (article 6.5) ;
    • en l’absence de suspension du contrat de concession mais en cas de modifications significatives des modalités d’exécution du contrat par le concédant du fait de la crise sanitaire, le concessionnaire dispose du droit d’obtenir une indemnité compensant le surcoût résultant de l’exécution, le cas échéant partielle, des prestations dès lors que cette exécution implique la mise en Å“uvre de moyens supplémentaires non prévus par le contrat initial et qui représenteraient une charge manifestement excessive au regard de la situation financière du concessionnaire (article 6 6°).

L’article 1ᵉʳ alinéa 2 de l’Ordonnance rappelle que ces dispositions ne peuvent être mises en œuvre que si elles sont nécessaires pour faire face à l’épidémie de COVID-19 ou aux mesures prises pour en limiter la propagation. Dit autrement, toute procédure de consultation organisée par un acheteur, tout dépôt de candidature ou d’offre par un candidat ou encore toute exécution de prestations par un titulaire qui peuvent se poursuivre malgré la situation actuelle doivent se poursuivre conformément aux règles établies par le dossier de consultation des entreprises ou les stipulations du contrat.

Le droit commun des contrats publics prévoit des dispositifs susceptibles d’être mis en œuvre dans un contexte de crise sanitaire

Les théories de la force majeure et de l’imprévision:

Comme le rappelle la DAJ dans la fiche précitée, les parties à un contrat public touchées par l’épidémie de COVID-19 pourraient recourir aux théories de la force majeure et à celle de l’imprévision (qui s’appliquent aux contrats de la commande publique et aux autres contrats administratifs, tels que les conventions d’occupation domaniale par exemple).

Pour rappel, il résulte de la jurisprudence administrative, inspirée du droit civil, que la force majeure correspond à un évènement qui échappe au contrôle du débiteur (extériorité), qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat (imprévisibilité) et dont les effets ne peuvent être surmontés par le débiteur (irrésistibilité), de sorte qu’il n’est pas en mesure d’exécuter ses obligations contractuelles (CE, 29 janvier 1909, Compagnie des messageries maritimes, n° 17614 ; CE, 7 août 1926, Bouxin, Rec. 891). La notion de force majeure appliquée aux contrats administratifs, dans la jurisprudence administrative, repose également sur le constat d’un bouleversement de l’économie du contrat (CE, avis, 26 avril 2018, Aéroport Notre-Dame-des-Landes, n° 394298).

Il est toutefois primordial d’analyser les clauses du contrat afin de déterminer si les parties ont aménagé l’application de la force majeure, par exemple pour y inclure ou en exclure les cas d’épidémie.

Il faut également relever que la force majeure, si elle était démontrée, ne permettrait à une partie de se délier que des seules obligations contractuelles qu’elle ne pourrait plus exécuter en raison de l’épidémie de COVID-19 (lien de causalité à démonter). Il est donc nécessaire d’identifier si les impacts de l’épidémie entraînent une incapacité d’exécution des obligations contractuelles totale ou partielle, temporaire ou définitive (allant ainsi jusqu’à la résolution du contrat).

Enfin, la résiliation du contrat prononcée le cas échéant par l’acheteur public en cas de force majeure n’impliquera une indemnisation du titulaire que pour ce qui concerne les pertes matérielles subies du fait de l’évènement de force majeure. Il ressort en effet d’une jurisprudence constante qu’aucune indemnisation du manque à gagner ne serait envisageable en pareille hypothèse (CE, 8 janvier 1925, Société Chantiers et ateliers de Saint-Nazaire, Rec. 28).

Par ailleurs, il pourrait être envisagé de recourir au mécanisme de révision du contrat pour imprévision. Celui-ci permet de renégocier les conditions d’exécution du contrat en cas de survenance de circonstances imprévisibles lors de sa conclusion et qui rendraient l’exécution de celui-ci excessivement onéreuse pour l’une des parties (du fait de l’épidémie actuelle ou des mesures prises par les pouvoirs publics). L’analyse des clauses contractuelles à ce sujet s’impose également dans la mesure où les contrats publics (marchés publics, concessions mais également conventions d’occupation domaniale) aménagent généralement ces principes, tant en ce qui concerne les cas de déclenchement (seuils de matérialité, franchises, …) que la couverture des conséquences en résultant (compensations financières, délais, prolongation de la durée de contrats).

Signalons enfin que, sous certaines conditions, le fait du prince pourrait également être invoqué par les titulaires de contrats publics, en particulier pour ceux conclus avec l’Etat.

Les autres mécanismes envisageables:

La jurisprudence administrative ainsi que le Code de la commande publique offrent plusieurs possibilités pour aménager la passation et l’exécution des contrats publics qui pourraient être mises en œuvre dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire actuel.

A ce titre, il est par exemple possible :

  • pour les appels d’offres en cours, de prolonger le délai de validité des offres si celui-ci devait expirer pendant l’état d’urgence sanitaire, et de continuer la procédure avec les candidats ayant accepté cette prorogation (CE, 25 avril 2015, n° 386912) ;
  • de réduire les délais de dépôt des candidatures et des offres lorsqu’une situation d’urgence, dûment justifiée, ne permet pas de respecter les délais minimaux imposés par le CCP ;
  • de recourir, en cas d’urgence impérieuse, à une procédure sans publicité ni mise en concurrence préalable ;
  • en cas d’impossibilité de poursuivre la procédure de passation, de déclarer la procédure sans suite ;
  • de modifier le contrat dès lors que ces modifications ont été prévues dans les documents contractuels initiaux (clauses de réexamen), lorsque les modifications ne sont pas substantielles ou sont de faibles montants (10% maximum du montant initial pour les services et fournitures, 15% maximum pour les travaux), lorsque des travaux, fournitures ou services supplémentaires sont devenus nécessaires ou encore lorsque les modifications sont rendues nécessaires par des circonstances imprévues.

Le droit français des contrats publics s’est doté, historiquement et plus récemment au travers des dispositions de l’Ordonnance, de dispositifs permettant de traiter des situations exceptionnelles de ce type, pour la passation et l’exécution de contrats publics. Cependant, aucun de ces mécanismes ne peut faire l’objet d’une application automatique. Ce n’est qu’une analyse au cas par cas des difficultés rencontrées dans la passation ou l’exécution du contrat concerné qui permettra de déterminer les mesures applicables permettant de répondre aux problématiques liées à la crise sanitaire actuelle.

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