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Quotas carbone dans le transport maritime : l’échéance se rapproche 23 November 2023

Le système d’échange de quotas d’émission de l’Union Européenne (le « SEQE-UE » ou en anglais « EU-ETS »), instauré par la directive 2003/87/CE¹ suivi par le protocole de Kyoto entré en vigueur au 1er janvier 2005,² est à ce jour le plus grand système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre au monde basé sur un mécanisme de plafonnement annuel du nombre d’émissions de gaz à effet de serre. Jusqu’au 10 mai 2023, seules les activités relevant du secteur de l’électricité et de la production thermique, les secteurs industriels à forte intensité énergétique, ainsi que l’aviation commerciale, relevaient du SEQE-UE.

A compter du 1er janvier 2024, la réglementation SEQE-UE sera graduellement étendue au transport maritime, conformément à la directive (UE) 2023/959 du Parlement européen et du Conseil en date du 10 mai 2023³ (la « Directive »), modifiant la directive 2003/87/CE. Elle s’inscrit dans le cadre des propositions « Paré pour 55 » (Fit for 55).

Les États membres de l’Union Européenne ont jusqu’au 31 décembre 2023 afin de transposer les dispositions de la Directive au plan national, applicables à compter du 1er janvier 2024. En France, la transposition de la Directive en droit interne se fait encore attendre, laissant encore certains points dans l’ombre.

1.  Comment fonctionne le mécanisme de quotas?

Chaque année, la Commission Européenne définit un plafond fixant la quantité totale d’émissions de gaz à effet de serre (CO2 à compter de 2024, puis méthane et oxyde nitreux à compter de 2026) pouvant être émises au sein de la zone européenne par les entités redevables, à savoir pour ce qui est du secteur maritime des « compagnies maritimes », sous forme de quotas échangeables.

Un quota équivaut à l’autorisation d’émettre une tonne de dioxyde de carbone ou d’équivalent CO2. La tonne de CO2 a dépassé les 100 euros début 2023 et se situe aux alentours de 85 euros en octobre 2023.

Le plafond, et en conséquence le nombre de quotas disponibles chaque année, est voué à être diminué chaque année, afin de faire baisser la quantité totale de gaz à effet de serre émis à l’échelle européenne et d’atteindre l’objectif de réduction des émissions de 43% à l’horizon 2030.⁴ Le plafond initialement proposé pour l’industrie maritime est de 78,4 millions de tonnes.

La Commission Européenne a établi un calendrier progressif d’assujettissement du secteur à la règlementation du SEQE-UE. Les compagnies maritimes seront tenues de restituer (c’est-à-dire acheter) des quotas selon le calendrier suivant:

a.  pour l’année 2024, 40% des émissions déclarées devront être converties en quotas;
b.  pour l’année pour 2025, 70% des émissions déclarées devront être converties en quotas; et
c.  pour l’année 2026 et les suivantes, 100% des émissions déclarées devront être converties en quotas.

Les quotas seront alors mis aux enchères à un prix initial fixé par la Commission Européenne, sur une plateforme commune à tous les Etats membres, appelée « European Energy Exchange » (« EEX »).

A la fin de chaque année et ce, à partir de 2026:

  • Si la quantité de gaz à effet de serre émis par une compagnie maritime est inférieure à la quantité de quotas qu’elle détient, celle-ci pourra (i) restituer les quotas excédentaires sur l’EEX (dans une certaine proportion fixée annuellement par la Commission Européenne) et/ou (ii) mettre les quotas excédentaires en réserve.
  • Si la quantité de gaz à effet de serre émis par une compagnie maritime est supérieure à la quantité de quotas qu’elle détient, devra se mettre en conformité avec ses émissions : il sera possible de racheter les quotas manquants au prix du marché (i) directement aux entités souhaitant revendre leurs quotas excédentaires ou (ii) à l’Union Européenne qui remettra également en vente sur le marché les quotas déjà revendus à l’Union Européenne.

Chaque Etat membre sera alors tenu de publier le nom des compagnies maritimes en infraction de leur obligation de restitution de quotas. La compagnie maritime qui n’aura pas, au 30 septembre de chaque année, restitué le nombre de quotas suffisant pour couvrir ses émissions sur l’année précédente, sera redevable d’une amende de 100 euros par tonne excédentaire de gaz à effet de serre.⁵

La préparation et la mise en place de mécanismes de suivi au niveau de chaque compagnie maritime sera donc essentielle.

2.  Quelles activités du transport maritime seront concernées?

L’allocation de quotas et les exigences en matière de restitution en ce qui concerne les activités de transport maritime s’appliquera:⁶

a.  à cent pour cent (100 %) des émissions des navires effectuant des voyages au départ et à destination d’un port d’escale de l’Union Européenne;
b.  à cent pour cent (100 %) des émissions des navires dans un port d’escale de l’Union Européenne;
c. à cinquante pour cent (50 %) des émissions des navires effectuant des voyages au départ d’un port d’escale de l’Union Européenne et à destination d’un port d’escale situé en dehors de l’Union Européenne; et
d. à cinquante pour cent (50 %) des émissions des navires effectuant des voyages au départ d’un port d’escale situé en dehors de l’Union Européenne et à destination d’un port d’escale de l’Union Européenne.

En conséquence, le SEQE-UE s’appliquera à tous les trajets maritimes comportant au moins une escale au sein de l’Union Européenne: 100 % des émissions seront prises en compte pour les trajets entre deux ports de l’Union Européenne et seulement 50 % pour les trajets entre des ports l’Union Européenne et hors Union Européenne.

Afin de limiter le risque d’escales à des fins de contournement dans le cadre du transport de conteneurs, certains arrêts dans des ports de pays tiers (ports de transbordement) dans un rayon de 300 miles nautiques seront exclus de la définition de « port d’escale ». Une liste des ports considérés comme ports de transbordement sera établie (et mise à jour) par la Commission Européenne.⁷

3.  Quels seront les navires concernés?

Les navires d’une jauge brute supérieure à 5.000 UMS transportant des marchandises ou des passagers à des fins commerciales seront soumis à la règlementation SEQE-UE de la Directive à partir du 1er janvier 2024, tandis que les navires d’une jauge brute comprise entre 400 et 5.000 UMS ne seront, à ce stade, pas soumis à la règlementation SEQE-UE.⁸ Toutefois, au plus tard le 31 décembre 2026, la Commission devrait présenter au Parlement européen et au Conseil un rapport dans lequel elle devrait examiner la faisabilité et les incidences économiques, environnementales et sociales de l’inclusion dans la directive 2003/87/CE des émissions des navires d’une jauge brute inférieure à 5.000 UMS, y compris les navires de ravitaillement en mer.

4.  Quels acteurs en seront redevables?

La Directive renforce le principe du « pollueur-payeur » afin que les coûts du carbone soient répercutés sur l’entité qui exploite effectivement le navire concerné. La Directive définit « compagnie maritime » comme « le propriétaire du navire ou tout autre organisme ou personne, tel que l’armateur gérant ou l’affréteur coque nue, auquel le propriétaire du navire a confié la responsabilité de l’exploitation du navire et qui, en assumant cette responsabilité, a accepté de s’acquitter des tâches et des obligations imposées par le code international de gestion pour la sécurité de l’exploitation des navires et la prévention de la pollution, figurant à l’annexe I du règlement (CE) no 336/2006 du Parlement européen et du Conseil ».⁹

La Commission Européenne doit publier une liste des compagnies maritimes relevant de la directive 2003/87/CE, telle que modifiée par la Directive, ainsi que l’autorité nationale responsable du contrôle de chaque compagnie maritime. La première liste devrait être publiée avant le 1er février 2024 par la Commission Européenne et devrait être mise à jour régulièrement, au moins tous les deux ans, afin de réattribuer les compagnies maritimes à une autorité nationale responsable.¹⁰ La Directive précise que (i) pour les compagnies maritimes immatriculées dans un de l’UE, l’autorité responsable sera celle de l’État membre dans lequel la compagnie maritime a son siège, (ii) pour les compagnies maritimes immatriculées dans un pays tiers, l’autorité responsable sera celle de l’État membre dans lequel la compagnie maritime a enregistré le plus grand nombre estimé d’escales dans le cadre de voyages relevant de la directive 2003/87/CE au cours des quatre années de surveillance précédentes, (ii) pour les compagnies maritimes immatriculées dans un pays tiers qui n’ont effectué aucun voyage relevant de la directive 2003/87/CE au cours des quatre années de surveillance précédentes, l’autorité responsable sera celle de l’État membre dans lequel un navire de la compagnie maritime a entamé ou achevé son premier voyage relevant de ladite directive.

Lorsque la responsabilité ultime de l’achat du carburant, de l’exploitation du navire ou des deux, est assumée, en vertu d’un accord contractuel, par une entité autre que la compagnie maritime, la compagnie maritime devra pouvoir prétendre au remboursement par cette entité des coûts découlant de la restitution de quotas. En revanche, vis-à-vis des autorités compétentes, c’est bien la compagnie maritime, telle qu’enregistrée auprès des autorités au titre de la Directive, qui est tenue de s’assurer du respect des obligations déclaratives et de restitution des quotas.¹¹

Une attention particulière devra donc être portée par la compagnie maritime aux contrats conclus et à conclure avec ses contreparties (chartes, contrat de gestion, etc.) afin de prendre en compte les éléments relatifs aux coûts du SEQE-UE, et ce dès le stade de la négociation des contrats.


Reste à voir quel sera l’impact de la Directive et si elle constituera un mécanisme efficace de nature à changer les comportements et promouvoir la décarbonation effective de l’industrie. Le mécanisme de « pollueur-payeur » tel qu’envisagé sera-t-il simplement perçu comme une nouvelle taxe sur le transport maritime ou contribuera-t-il effectivement à la réalisation des objectifs européens « zéro pollution »?

De nombreuses questions se posent d’ailleurs sur le fonctionnement futur du « Fonds pour l’innovation » destiné à soutenir les entreprises les plus innovantes soumises à la règlementation SEQE-UE dans le domaine des techniques, procédés et technologies à émissions de carbone faibles ou nulles qui contribuent significativement à la décarbonation du secteur maritime, y compris les projets destinés à déployer à grande échelle ces techniques, procédés et technologies sur l’ensemble du territoire de l’Union Européenne.¹² Ce Fonds pour l’innovation, s’il est réutilisé à bon escient et dans le secteur maritime, pourra constituer un élément important dans la réalisation des objectifs de l’Union Européenne.

Notes de bas de page

[1] Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil.
[2] Protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques en date du 11 décembre 1997.
[3] Directive (UE) 2023/959 du Parlement européen et du Conseil du 10 mai 2023 modifiant la directive 2003/87/CE établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans l’Union et la décision (UE) 2015/1814 concernant la création et le fonctionnement d’une réserve de stabilité du marché pour le système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre de l’Union (Texte présentant de l’intérêt pour l’EEE).
[4] Paragraphe 80 du texte préliminaire à la Directive présentant de l’intérêt pour l’EEE.
[5] Article 16 de la directive n°2003/87/CE modifiée du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003, et prononcée dans les conditions fixées à l’article D. 229-37-10 du code de l’environnement. Le montant de l’amende est indexé chaque année.
[6] Article 3 octies bis, paragraphe 1 de la Directive.
[7] Article 3 octies bis, paragraphe 2 de la Directive.
[8] Article 3 bis de la Directive.
[9] Article 3 de la directive 2003/87/CE tel que modifié par la Directive.
[10] Article 3 octies septies de la Directive.
[11] Article 3 octies quater de la Directive.
[12] Paragraphe 8 de l’Article 10 bis de la Directive.

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